L'éternité des peines de l'enfer




















Extrait du livre de Mgr de Segur "l'enfer"


Que l'éternité des peines de l'enfer est une vérité de foi révélée. 

DIEU lui-même a révélé à ses créatures l'éternité des peines qui les attendaient en enfer, si elles étaient assez insensées, assez perverses, assez ingrates, assez ennemies d'elles-mêmes pour se révolter contre les lois de sa sainteté et de son amour.

Reportez-vous, cher lecteur, aux nombreux témoignages déjà cités dans le cours de ce petit écrit. Presque toujours, en nous rappelant la révélation miséricordieuse qu'il avait daigné faire de cette salutaire vérité à nos premiers parents, le Seigneur notre Dieu parle de l'éternité des peines de l'enfer, en même temps que de l'existence même de l'enfer. Ainsi, par le Patriarche Job et par Moïse, il nous déclare que, dans l'enfer, « règne l'horreur éternelle, sempiternus horror ». Le texte original est même plus fort, le mot sempiternus voulant dire « toujours éternel, » comme qui dirait « éternellement éternel ».

Par le Prophète Isaïe, il nous répète ce même enseignement, et vous n'avez pas oublié cette terrible apostrophe, qui s'adresse à tous les pécheurs : « Lequel d'entre vous pourra habiter dans le feu dévorant, dans les flammes éternelles, cum ardoribus sempiternis ? » Ici encore le superlatif sempiternis.

Dans le Nouveau-Testament, l'éternité du feu et des peines de l'enfer revient à tout propos sur les lèvres de Notre-Seigneur et sous la plume de ses Apôtres. Ici encore, reportez-vous, cher lecteur aux quelques extraits que nous en avons cités. Je ne rappellerai qu'une parole du Fils de DIEU, parce qu'elle résume solennellement toutes les autres ; c'est la sentence même qui présidera notre éternité à tous : « Venez, les bénis de mon Père, et entrez en possession du royaume qui vous a été préparé dès l'origine du monde ! Retirez-vous de moi, maudits, et allez dans le feu éternel qui a été préparé au démon et à ses anges ». Et l'adorable Juge ajoute : « Et ceux-ci iront au supplice éternel, et ceux-là entreront dans la vie éternelle ; in supplicium aeternum, in vitam aeternarn ».

Ces oracles du Fils de DIEU n'ont pas besoin de commentaire. Sur leur clarté lumineuse l'Eglise fait reposer depuis dix-neuf siècles son enseignement divin, souverain et infaillible, touchant l'éternité proprement dite de la béatitude des élus dans le ciel, et des peines des damnés dans l'enfer.
Donc, l'éternité de l'enfer et de ses châtiments redoutables est une vérité révélée, une vérité de foi catholique, aussi certaine que l'existence de Dieu. et que les autres grands mystères de la religion chrétienne.



Que l'enfer est nécessairement éternel à cause de la nature même de l'éternité

Il y a bien longtemps que la faiblesse naturelle de l'esprit humain fléchit sous le poids de ce terrible mystère de l'éternité des châtiments des réprouvés. Déjà du temps de Job et de Moïse, dix-sept ou dix-huit siècles avant l'ère chrétienne, certains esprits légers et certaines consciences trop chargées parlaient de la mitigation, sinon du terme des peines de l'enfer. « Ils s'imaginent, dit le livre de Job, il s'imaginent que l'enfer décroît et vieillit ».
Aujourd'hui, comme dans tous les temps, cette tendance à mitiger et à raccourcir les peines de l'enfer trouve des avocats plus ou moins directement intéressés à la chose. Ils se trompent. Outre que leur supposition ne repose que sur l'imagination et est directement contraire aux affirmations divines de Jésus-Christ et de son Eglise, elle part d'une conception absolument fausse de la nature même de l'éternité.

Non seulement il n'y aura point de terme, ni même de mitigation aux peines des damnés, mais il est complètement impossible qu'il y en ait. La nature de l'éternité s'y oppose d'une manière absolue.
L'éternité, en effet, n'est pas comme le temps, qui se compose d'une succession d'instants ajoutés les uns aux autres, et dont l'ensemble forme les minutes, les heures, les jours, les années, les siècles. Dans le temps, on peut changer, précisément parce qu'on a « le temps » de changer. Mais si l'on n'avait devant soi ni jour, ni heure, ni minute, ni seconde, n'est-il pas évident que l'on ne pourrait point passer d'un état à un autre état ? Or, c'est ce qui a lieu dans l'éternité. Dans l'éternité, il n'y a pas d'instants qui succèdent à d'autres instants et qui en soient distincts. L'éternité est un mode de durée et d'existence qui n'a rien de commun avec celui de la terre ; nous pouvons le connaître, mais nous ne pouvons pas le comprendre. C'est le mystère de l'autre vie ; c'est une véritable et mystérieuse participation l'éternité même de DIEU.

Comme le dit saint Thomas, avec toute la Tradition, l'éternité est « tout entière à la fois, tota simul ». C'est un présent toujours actuel, indivisible, immuable. Il n'y a pas là des siècles accumulés ; sur des siècles, ni des millions de siècles ajoutés à d'autres millions de siècles. Ce sont là des manières toutes terrestres et parfaitement fausses de concevoir l'éternité.
Je le répète, la nature même de l'éternité, qui ne ressemble en rien aux successions du temps, fait que tout changement y est tout-à-fait impossible, soit en bien, soit en mal. En ce qui touche les peines de l'enfer, tout changement est donc impossible ; et comme la cessation, ou même la simple mitigation de ces peines constituerait nécessairement un changement, nous devons conclure, avec une certitude complète, que les peines de l'enfer sont absolument éternelles, immuables, et que le système des mitigations n'est qu'une défaillance de l'esprit, ou un caprice de l'imagination et du sentiment.

Ce que je viens de résumer ici sur l'éternité, cher lecteur, est peut-être un peu abstrait ; mais plus vous y réfléchirez, et plus vous en constaterez la vérité. En tout cas, que nous comprenions ou que nous ne comprenions pas, reposons-nous à cet égard sur la très claire et très formelle affirmation de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; et disons, avec toute la simplicité et la certitude de la foi : « Je crois à la vie éternelle, credo vitam aeternam » c'est-à-dire l'autre vie, qui sera pour tous immortelle et éternelle ; pour les bons, immortelle et éternelle dans les béatitudes du Paradis ; pour les mauvais, immortelle et éternelle dans les châtiments de l'enfer.

Un jour, saint Augustin, Evêque d'Hippone, était occupé à scruter, autant du moins que son puissant esprit le pouvait faire, la nature de cette éternité, où la bonté et la justice de Dieu attendent toutes les créatures. Il cherchait, il approfondissait ; tantôt il voyait et tantôt il se sentait arrêté par le mystère. Tout à coup, apparaît devant lui, dans une lumière radieuse, un vieillard au visage vénérable et tout resplendissant de gloire. C'était saint Jérôme, qui, presque centenaire, venait de mourir, bien loin de là, à Bethléem. Et comme saint Augustin regardait avec étonnement et avec admiration la céleste vision qui s'offrait à ses yeux : « L'oeil de l'homme n'a point vu, lui dit le vieillard, l'oreille de l'homme n'a point entendu, et l'esprit de l'homme ne pourra jamais comprendre ce que tu cherches à comprendre ». Et il disparut.Tel est le mystère de l'éternité, soit au ciel, soit en enfer. Croyons humblement, et profitons du temps en cette vie, afin que, lorsque le temps cessera pour nous, nous soyons admis dans la bonne éternité, et que, par la miséricorde de Dieu, nous évitions l'autre.


D'une autre raison de l'éternité des peines : le défaut de grâce

Lors même que le damné aurait devant lui du temps pour pouvoir changer, pour se convertir et pour obtenir miséricorde, ce temps ne pourrait lui servir. Pourquoi cela ? Parce que la cause des châtiments qu'il endure serait toujours là. Cette cause, c'est le péché, c'est le mal qu'il a choisi sur la terre pour son partage. Le damné est un pécheur impénitent, inconvertissable.

Le temps ne suffit pas, en effet, pour se convertir. Hélas ! nous ne le voyons que trop en ce monde. Nous vivons au milieu de gens que le bon DIEU attend depuis dix, vingt, trente, quarante ans, et quelquefois plus. Pour se convertir, il faut, en outre, la grâce.
Il n'y a pas de conversion possible sans le don essentiellement gratuit de la grâce de Jésus-Christ, laquelle est le remède fondamental du péché, et le premier principe de la résurrection des pauvres âmes que le péché a séparées de DIEU et jetées ainsi dans la mort spirituelle. Jésus-Christ a dit : « Je suis la résurrection et la vie ; » et c'est par le don de sa grâce qu'il ressuscite les âmes mortes et qu'il les maintient ensuite dans la vie.

Or, dans sa sagesse toute-puissante, ce souverain Seigneur a réglé qu'en cette vie seulement qui est le temps de notre épreuve, sa grâce nous serait donnée afin de nous faire éviter la mort du péché, et de nous faire croître dans la vie des enfants de DIEU. Dans l'autre monde, ce n'est plus le temps de la grâce ni de l'épreuve ; c'est le temps de la récompense éternelle pour ceux qui auront correspondu à la grâce en vivant chrétiennement ; c'est le temps du châtiment éternel pour ceux qui auront repoussé la grâce en vivant et en mourant dans le péché. Tel est l'ordre de la Providence, et rien ne le changera.

Donc, dans l'éternité, il n'y aura plus de grâce pour les pécheurs réprouvés ; et comme, sans la grâce, il est absolument impossible de se repentir efficacement, ainsi que cela est nécessaire pour obtenir le pardon, le pardon n'est pas possible, la cause du châtiment subsiste toujours ; et le châtiment, qui n'est que l'effet du péché, subsiste également. Pas de grâce, pas de repentir ; pas de repentir, pas de conversion ; pas de conversion, pas de pardon ; pas de pardon, pas de mitigation ni de cessation possibles dans la peine. N'est-ce pas rationnel ?

Le mauvais riche de l'Evangile ne se repent pas dans le feu de l'enfer. Il ne dit pas : « Je me repens ! » Il ne dit même pas : « J'ai péché ». Il dit : « Je souffre horriblement dans cette flamme ! » C'est le cri de la douleur et du désespoir, ce n'est point le cri du repentir. Il ne songe pas à implorer le pardon ; il ne pense qu'à lui-même et à son soulagement.
L'égoïste demande en vain la goutte d'eau qui pourrait le rafraîchir. Cette goutte d'eau, c'est la touche de grâce qui le sauverait ; or, il lui est répondu que cela est impossible. Il déteste le châtiment, non la faute. C'est l'affreuse histoire de tous les damnés.

Ici-bas, la cité de DIEU et la cité de Satan sont comme mêlées ensemble ; on peut passer et repasser de l'une à l'autre ; de bon, on peut devenir mauvais, et de mauvais, on peut devenir bon. Mais tout cela cessera, au moment de la mort. Alors les deux cités seront irrévocablement séparées, comme le dit l'Evangile ; on ne pourra plus passer de l'une à l'autre, de la cité de DIEU à la cité de Satan, du Paradis à l'enfer, non plus que de l'enfer au Paradis. En cette vie, tout est imparfait, le bien comme le mal ; rien n'est définitif ; et la grâce de DIEU n'étant jamais refusée à personne, on peut toujours échapper au mal, à l'empire du démon, à la mort du péché, tant que l'on est en ce monde. Mais, comme je l'ai déjà dit, tout cela est le partage de la vie présente ; et dès qu'un pauvre homme, en état de péché mortel, a rendu le dernier soupir, tout change de face : l'éternité succède au temps ; les moments de la grâce et de l'épreuve ne sont plus ; la résurrection de l'âme n'est plus possible, et l'arbre tombé à gauche demeure éternellement à gauche.Donc, le sort des réprouvés est fixé à tout jamais ; aucun changement, aucune mitigation, aucune suspension, aucune cessation de leurs châtiments n'est possible. Il leur manque non seulement le temps, mais encore la grâce.


Troisième raison de l'éternité des peines : la perversité de la volonté des damnés

La volonté des damnés est comme pétrifiée dans le péché, dans le mal, dans la mort surnaturelle. Qu'est-ce qui fait qu'en cette vie un pécheur peut se convertir ? C'est d'abord, comme nous l'avons dit, qu'il en a le temps et que le bon DIEU lui en donne toujours la grâce ; mais c'est aussi parce qu'il est libre, parce que sa volonté peut, à son choix, se retourner du côté de DIEU. C'est un acte de volonté libre qui a détourné le pécheur de son DIEU ; et c'est par un autre acte de volonté libre que, moyennant la grâce de ce DIEU très bon, il revient à lui, se repent, et, pauvre enfant prodigue, rentre pardonné dans la maison paternelle.

Mais, au moment de la mort, il en est de la liberté comme de la grâce : c'est fini, fini pour toujours. Il ne s'agit plus alors de choisir, mais de demeurer dans ce qu'on a choisi. Vous avez choisi le bien, la vie : vous possédez pour toujours, le bien et la vie. Vous avez choisi follement le mal et la mort : vous êtes dans la mort ; vous y êtes pour toujours, et vous n'y êtes que parce que vous l'avez voulu lorsque vous pouviez vouloir. C'est l'éternité des peines.

On montre encore aujourd'hui, au palais de Versailles, la chambre où mourut Louis XIV, le ler septembre 1715. Ce sont les mêmes meubles, et en particulier la- même, pendule. Par un sentiment de respect pour le grand roi mort, on arrêta cette pendule au moment où il rendit le dernier soupir, à quatre heures trente et une minutes ; et depuis, on n'y a point touché, et voilà plus de cent soixante ans que l'aiguille immobile du cadran marque quatre heures trente et une minutes. C'est une image frappante de l'immobilité où entre et demeure la volonté de l'homme, au moment où il quitte cette vie.

La volonté du pécheur damné demeure donc nécessairement ce qu'elle est au moment de la mort. Telle qu'elle est, elle est immobilisée, elle est éternisée, si l'on peut parler ainsi. Le damné veut toujours et nécessairement le mal qu'il a fait, dit saint Bernard. Le mal et lui ne font plus qu'un ; c'est comme un péché vivant, permanent, immuable. De même que les Bienheureux, ne voyant DIEU que dans son amour, l'aiment nécessairement ; de même les réprouvés, ne voyant DIEU que dans les châtiments de sa justice, le haïssent nécessairement. Je vous le demande n'est-il pas de justice rigoureuse qu'un châtiment immuable frappe une perversité immuable ? et qu'une peine éternelle, toujours la même, punisse une volonté éternellement fixée dans le mal, éternellement détournée de DIEU par la révolte et la haine, une volonté arrêtée de pécher toujours ?

De ce que nous venons de dire, comme de ce qui précède, il résulte d'une manière évidente, que, dans l'enfer, les damnés n'ayant ni le temps, ni la grâce, ni la volonté de se convertir, ils ne peuvent être pardonnés, ils doivent de toute nécessité subir un châtiment immuable et éternel ; enfin, et comme conséquence rigoureuse, que les peines de l'enfer non seulement n'auront point de fin, mais qu'elles ne sont pas susceptibles de ces diminutions ou mitigations dont on voudrait se flatter.

S'il est vrai que DIEU soit injuste en punissant par des peines éternelles des fautes d'un moment. C'est là une bien vieille objection, arrachée par la peur aux consciences écornées. Dès le quatrième siècle, l'illustre Archevêque de Constantinople, saint Jean Chrysostome, la relevait un jour en ces termes : « Il y en a qui disent : « Je n'ai été que quelques instants à tuer un « homme, à commettre un adultère ; et pour ce péché d'un moment, je vais avoir à subir des peines éternelles ? » Oui, certes ; car ce que DIEU juge dans votre péché, ce n'est pas le temps que vous mettez à le commettre, mais la volonté qui vous le fait commettre ».

Ce que nous avons dit plus haut suffirait déjà pour écarter ici l'ombre d'une difficulté. La conversion et le changement étant absolument impossibles dans l'enfer, par défaut de temps, par défaut de grâce et par défaut de liberté, la cause du châtiment subsiste éternellement en son entier, et doit, en stricte justice, produire éternellement son effet. Il n'y a rien à dire à cela ; c'est de la justice pure. Vous trouvez injuste que DIEU punisse par une peine éternelle des crimes d'un instant ? Mais voyez donc ce qui se passe tous les jours dans la société humaine. Tous les jours elle punit de mort des assassins, des parricides, des incendiaires, etc., qui ont perpétré leur crime en quelques minutes. Est-elle injuste ? Qui oserait le dire ? Or, qu'est-ce que la peine de mort, dans la société humaine ? N'est-ce pas une peine perpétuelle, une peine sans retour, sans mitigation possible ? Cette peine de mort prive pour toujours de la société des hommes, comme l'enfer prive pour toujours de la société de DIEU. Pourquoi en serait-il autrement pour les crimes de lèse-majesté divine, c'est-à-dire pour les péchés mortels ?

Mais le temps n'entre ici pour rien dans le poids moral du péché. Comme le disait saint Jean Chrysostome, ce n'est pas la durée de l'acte coupable qui est punie en enfer par une peine éternelle, c'est la perversité de la volonté qui a fait agir le pécheur et que la mort est venue immobiliser. Cette perversité demeurant toujours, le châtiment qui s'y attache éternellement, loin d'être injuste, est tout ce qu'il y a de plus juste, et est même nécessaire. La sainteté infinie de DIEU ne se doit-elle pas à elle-même de repousser éternellement un être qui est dans un état éternel de péché ? Or tel est le réprouvé en enfer.

Et puis, quiconque y réfléchit sérieusement remarquera dans tout péché mortel un double caractère : le premier, qui est essentiellement fini, c'est l'acte libre de la volonté qui viole la loi de DIEU et qui pèche ; le second, qui est infini, est l'outrage fait à la sainteté, à la majesté infinie de DIEU. Par ce côté, le péché renferme une malice infinie en quelque sorte ; « quamdam infinitatem » dit saint Thomas. Or, la peine éternelle répond dans une mesure exacte à ce caractère fini et infini du péché. Elle est elle-même finie et infinie : finie en intensité ; infinie et éternelle en durée. Fini quant à la durée de l'acte et à la malice de la volonté de celui qui pèche, le péché est puni par une peine plus ou moins considérable, mais toujours finie en intensité ; infini par rapport à la sainteté de Celui qui est offensé, il est puni par une peine infinie en durée, c'est-à-dire éternelle.

Encore une fois, rien de plus logique, rien de plus juste que les peines éternelles qui punissent en enfer le péché et le pécheur. Ce qui ne serait pas juste, ce serait que tous les réprouvés eussent à subir la même peine. En effet, il est évident qu'ils ne sont pas tous aussi coupables les uns que les autres. Tous sont en état de péché mortel égaux en cela, ils méritent tous également une peine éternelle ; mais tous n'étant pas coupables au même degré, l'intensité de cette peine éternelle est exactement proportionnée au nombre et à la gravité des fautes d'un chacun. Donc, là encore, justice parfaite, justice infinie.

Enfin, autre observation très frappante : si les peines du pécheur impénitent, réprouvé en enfer, avaient une fin, ce serait lui, et non pas le Seigneur, qui aurait le dernier mot dans sa lutte sacrilège contre DIEU. Il pourrait dire à DIEU : « Je prends mon temps ; vous prendrez le vôtre. Mais que le vôtre soit court ou qu'il soit long, je finirai toujours par l'emporter sur vous ; je serai maître de la situation ; et un jour, que vous le vouliez ou non, j'irai partager votre gloire et votre béatitude éternelle dans les cieux ». Est-ce possible, je vous le demande ? - Donc, à ce point de vue encore, et indépendamment des raisons péremptoires que nous venons d'exposer, la justice, la sainteté divine, requiert de toute nécessité que les châtiments des damnés soient éternels. « Mais la bonté de DIEU ? » pensera-t-on peut-être. - La bonté de DIEU n'a rien à faire ici ; l'enfer est le règne de sa justice, infinie tout comme sa bonté. La bonté de DIEU s'exerce sur la terre, où elle pardonne tout, et toujours, et immédiatement, au repentir. Dans l'éternité, la bonté n'a plus à s'exercer ; elle n'a plus qu'à couronner dans les joies du ciel son oeuvre accomplie sur la terre par le pardon.

Voudriez-vous par hasard que, dans l'éternité, DIEU exerçât sa bonté vis-à-vis de gens qui en ont indignement abusé sur la terre, qui n'y ont point eu recours au moment de la mort, et qui, maintenant, n'en veulent plus et ne peuvent plus en vouloir ? Ce serait tout simplement absurde. De la part de DIEU surtout, la bonté ne peut pas s'exercer aux dépens de la justice.

Donc, en punissant par des peines éternelles des fautes passagères, loin d'être injuste, DIEU n'est que juste et très juste. S'il en est de de même pour des péchés de faiblesse
Sans vouloir excuser outre mesure les péchés de faiblesse dont les bons chrétiens eux-mêmes se rendent trop souvent coupables, il faut reconnaître qu'il y a un abîme entre ceux qui les commettent et ceux que l'Ecriture Sainte appelle généralement « les pécheurs ». Ceux-ci sont les âmes perverses, les coeurs impénitents, qui font le mal par habitude, sans remords, comme chose toute simple, et qui vivent sans DIEU, en révolte permanente contre Jésus-Christ. Ce sont les pécheurs proprement dits, les pécheurs de profession. « Ils pèchent tant qu'ils vivent, disait d'eux saint Grégoire ; ils pêcheraient toujours, s'ils pouvaient vivre toujours ; ils voudraient toujours vivre, pour pouvoir toujours pécher. Pour ceux-là, une fois qu'ils sont morts, la justice du souverain Juge exige évidemment qu'ils ne soient jamais sans châtiment, puisqu'ils n'ont jamais voulu être sans péché ».

Telles ne sont pas les dispositions des autres. Quantité de pauvres âmes tombent dans le péché mortel, et cependant elles ne sont ni mauvaises ni corrompues, encore moins impies. Celles-là ne font le mal que par occasion, par entraînement ; c'est la faiblesse qui les fait tomber, et non l'amour du mal dans lequel elles tombent. Elles ressemblent à un enfant qu'on arracherait des bras de sa mère par violence ou par séduction ; qui se laisserait ainsi séparer et éloigner d'elle, mais avec regret, sans la quitter du regard et comme en lui tendant les bras ; à peine le séducteur l'a-t-il lâché, qu'il revient, qu'il court se jeter, repentant et joyeux, dans les bras de sa bonne mère.

Tels sont ces pauvres pécheurs d'occasion, presque de hasard, qui n'aiment point le mal qu'ils commettent, et dont la volonté n'est pas gangrénée, au moins dans son fond. Ils subissent le péché, plutôt qu'ils ne le recherchent ; ils s'en repentent déjà pendant qu'ils s'y abandonnent. De tels péchés ne sont-ils pas bien plus excusables ? Et comment la miséricorde adorable du Sauveur n'accorderait-elle pas facilement, surtout au moment décisif de la mort, de grandes grâces de repentir et de pardon à des enfants prodigues qui, tout en l'offensant, ne lui ont point tourné le dos, et qui, tout en se laissant entraîner loin de lui, ne l'ont point quitté du regard et du désir ?

On peut affirmer que le DIEU qui a dit : « Jamais je ne rejetterai celui qui vient à moi » trouvera toujours dans son divin Coeur des secrets de grâces et de miséricordes suffisants pour arracher ces pauvres âmes à la damnation éternelle. Mais, disons-le bien haut, c'est là un secret du Coeur de DIEU, un secret impénétrable aux créatures, sur lequel il ne faut pas trop compter ; car il laisse subsister en son entier cette redoutable doctrine, qui est de foi, à savoir que tout homme qui meurt en état de péché mortel est damné éternellement et voué dans l'enfer aux châtiments que méritent ses fautes.

Un mot encore, en terminant. Que les esprits subtils et les « âmes sensibles » qui cherchent à ergoter au lieu de croire simplement et de se sanctifier, se rassurent en pensant aux réprouvés. La justice, la bonté, la sainteté de Notre-Seigneur régleront tout pour le mieux, soit dans l'enfer, soit dans le Purgatoire ; il n'y aura pas là l'ombre, ni même la possibilité d'une injustice quelconque. Tous ceux qui seront en enfer auront parfaitement mérité d'y être et d'y demeurer éternellement ; quelque terribles qu'elles puissent être, leurs peines seront absolument proportionnées à leurs fautes.

Il n'en est pas ici comme des tribunaux, des lois et des juges de la terre, qui peuvent se tromper, qui peuvent frapper à tort, punir trop ou pas assez : le Juge éternel et souverain Jésus-Christ sait tout, voit tout, peut tout ; il est plus que juste, il est la Justice même ; et dans l'éternité, comme il nous l'a déclaré de sa propre bouche, « il rendra à chacun selon ses oeuvres », ni plus ni moins.

Donc, tout épouvantables, tout incompréhensibles qu'elles sont à l'esprit humain, les peines éternelles de l'enfer sont et seront souverainement, éternellement justes.